Moi je suis la vérité

Cette partie du verset de l’évangile de Jean ne laisse pas de nous questionner. Elle est l’une des trois métaphores par lesquelles Jésus veut manifester, par le langage, qui il est : « Moi je suis le chemin, la vérité et la vie (Jn 14,6) ». Les deux métaphores du chemin et de la vie nous parlent instantanément, mais que dire de celle de la vérité ? Comme souvent, avec les paroles de Jésus (les logia pour les exégètes), il faut regarder avec attention le texte lui-même. Chaque mot utilisé par Jésus a une signifiance qui surpasse de beaucoup le simple mot. C’est cette signifiance qui est ici à l’œuvre, comme si Jésus avait déjà découvert ce que l’humanité mettra des siècles à trouver : la parole parle en elle-même, elle possède une puissance au-delà d’elle-même, elle recèle quelque chose de l’Infini.

Dans ce verset, les trois métaphores juxtaposées n’en font qu’une, car aucun terme ne peut être séparé des deux autres ou n’est supérieur aux deux autres. Les trois signifiants ne produisent du sens qu’en rapport avec les deux autres, et les détacher les uns des autres n’aboutirait qu’à des effets de sens déconnectés du texte. Dans notre réception et interprétation de ces paroles, il nous faut alors rester au contact du texte et de sa force métaphorique, pour respecter réellement l’auteur des paroles qu’est Jésus et ce qu’il a voulu dire. La vérité n’est pas par hasard ici entre le chemin et la vie. D’un côté elle est liée à un chemin et de l’autre elle est liée à une vie. Chaque humain peut alors s’identifier à ce chemin et à cette vie qui sont recherche de la vérité. La vérité est donc en mouvement, en devenir, même pour Jésus lui-même – qui n’a cessé d’être en marche – quand il nous invite à suivre ce chemin. Mais pour nous, la vérité n’est jamais définitivement acquise, nous ne pouvons pas dire, comme Jésus, que nous avons ou que nous sommes la vérité. Mais nous pouvons croire en ce chemin qu’il nous propose et qui, peut-être, nous dévoilera un peu de vérité (la vérité, alethéia, dans le texte grec de l’évangile, signifie “dévoilement”). La vérité n’est alors plus une vérité absolue qui nierait par là toute possibilité d’interprétation. La vérité, l’alethéia, n’est plus une impasse quand elle se fait chemin. Le chemin du christianisme se place ainsi naturellement dans le sillon de la halakha (la voie dans la loi) du judaïsme, mais à la condition d’interpréter la loi elle-même qui n’est plus, dès lors, un absolu quand elle devient un chemin sur lequel le « comment vivre » est à découvrir chaque jour. Et ces paroles de Jésus nous préservent de tout fondamentalisme : Jésus seul peut affirmer être la vérité, et nous ne cessons de diriger nos regards vers cette Vérité dont nous il nous parle, et que nous voudrions atteindre. Mais Jésus nous dit que nous sommes en chemin, et notre espérance est d’être sur son chemin. Nous nous efforçons de le suivre à chaque instant, et parfois, au détour de ce chemin, se révèle à nous une parcelle de vérité que nous n’attendions pas. Nous l’avions seulement espérée, et elle nous est donnée. Notre non-maîtrise de la vérité est donc déjà, paradoxalement, une vérité, elle nous invite à l’humilité dans notre condition humaine, tout en nous invitant aussi au mouvement, au devenir, car c’est l’essence même de la vie. Cette parole de Jésus est, à cet égard, sans doute l’une des plus importantes du Nouveau Testament, car elle rassemble en elle toute la puissance et la lumière du Verbe, qui sont capables de nous mettre en marche.

Et si cette lumière du Verbe qui met notre vie en mouvement était la Vérité ?