Vous avez dit justification ?

Quelle protestante, quel protestant n’a pas entendu ces trois mots « La grâce seule » qui a été comme un des slogans essentiels de la Réforme ? Dieu nous accueille sans condition, il nous aime sans que nous n’ayons rien fait pour mériter cet amour, tout ce qu’il nous donne nous est donné par pure grâce. Or c’est précisément cela que l’apôtre Paul a voulu rappeler à travers une expression dont il est sans doute l’inventeur : la justification par la foi. Jésus n’emploie pas cette expression, il parle plus directement, en s’adressant personnellement à son interlocuteur, pour lui annoncer le pardon de ses péchés. L’expression de Paul n’est pas une parole qui nous est adressée, elle est une réflexion sur cette parole, sur sa signification et sa portée.

Le mot justification n’est pas d’usage courant. Pourtant il nous arrive souvent, en toutes sortes de circonstances, de chercher à nous justifier. Nous ne pouvons jamais être totalement indifférents au regard, au jugement des autres, et particulièrement de ceux à qui nous avons des comptes à rendre, de ceux à qui nous voudrions adresser une demande ou à qui nous aimerions plaire. Nous avons besoin qu’on reconnaisse nos qualités, nous cherchons à faire nos preuves, et chacun sait combien peut être difficile l’aveu d’une faiblesse et plus encore douloureuse et humiliante l’expérience d’un échec.

Mais contrairement à cet effort pour nous justifier qui inspire tant de nos conduites, Paul veut nous dire que nous n’avons rien à faire pour être justes devant Dieu, pour être acceptés par lui : la foi seule suffit. Car ce qui est en jeu dans la question de la justification, c’est justement de savoir ce qui nous permet d’être dans une relation juste avec Dieu. Et la foi est la réponse à cette question. Mais pour bien comprendre ce mot qui a pour Paul, comme il l’avait déjà pour Jésus, une importance cruciale, une précision est nécessaire, car en le traduisant par le verbe croire on peut être induit en erreur. En effet, croire a toujours pour objet quelque chose, par exemple une information, et croire une personne c’est croire ce qu’elle dit. Mais avoir foi en une personne signifie entrer avec elle dans une relation spécifique, et la meilleure traduction serait de dire non pas que nous croyons en Dieu, mais que nous mettons notre confiance en lui.

Quand nous disons à une personne : je te crois sur parole, nous croyons ce qu’elle nous dit parce que d’abord nous avons confiance en elle. Or le message de l’Evangile consiste justement en une parole que Jésus nous adresse au nom de Dieu : tes péchés sont pardonnés, tu es aimé avant même que tu en prennes conscience. Et c’est par fidélité à cette parole, qui a été en quelque sorte la ligne directrice de son enseignement, que Jésus est allé jusqu’à affronter l’hostilité de ceux qui, à cause de cette parole, l’accusèrent de blasphème. Il est extrêmement significatif que l’évangile de Luc nous donne comme une des dernières paroles de Jésus au moment où il est crucifié : Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. Ainsi, en ressuscitant son fils, Dieu proclame qu’il confirme et fait sienne cette parole.

Croire en Dieu, ce n’est donc pas seulement admettre un certain nombre de choses à propos de Dieu, par exemple qu’il nous aime et nous pardonne, c’est d’abord lui faire confiance, parce que ce n’est qu’ainsi que nous pourrons recevoir sa parole comme une parole qu’il nous adresse personnellement, c’est-à-dire comme une parole susceptible de transformer notre vie. Vivre en chrétien, ce n’est donc pas faire effort pour montrer à Dieu que nous sommes dignes d’être pardonnés, mais reconnaître que notre vie est portée par ce pardon, avant même notre premier souffle. Vivre en chrétien, autrement dit, c’est apprendre à nous approprier ce pardon, apprendre à vivre non pas dans la crainte, mais dans la confiance, comme un être libéré et aimé par Dieu. Par là-même un chemin s’ouvre devant nous, nouveau et imprévisible, car nous n’en aurons jamais fini d’apprendre à aimer Dieu, en réponse à son amour.